Victor Segalen (1878-1919) occupe une place à part dans la littérature. Né à Brest, médecin de la marine, affecté d’abord en Polynésie, il s’intéresse à Gauguin et aux Maoris, avant de se passionner pour la Chine au cours de missions archéologiques et géographiques.
Il a 25 ans quand il séjourne à Tahiti, en 1903 et 1904, et recueille les dernières œuvres de Gauguin, mort trois mois avant son arrivée. Ce voyage lui inspire Les Immémoriaux (1907), retraçant les derniers moments de la civilisation maorie, contaminée, perdue par les missionnaires et les colonisateurs. Segalen s’insurge contre ce massacre, comprend le drame d’une ethnie que l’on prive de ses mythes et de sa langue. Ce livre surprenant décrit les destructions, avec l’arrivée des Occidentaux et du Christianisme, de la religion et des coutumes traditionnelles de Tahiti. La vision du réel de Segalen prend forme, soutenu par un style empreint d’absolu, à la fois narratif et poétique. L’exploration du lointain et l’exotisme se confondent avec la quête intérieure.
La rencontre avec les œuvres de Gauguin est capitale. Elle lui fournit la clé du monde polynésien et lui permet d’imaginer que Gauguin, sans véritables preuves, tentait de rétablir les anciens cultes maoris. Si Les Immémoriaux sont son grand œuvre de Polynésie, les écrits consacrés à Gauguin, rassemblés dans Hommage à Gauguin, l’insurgé des Marquises, en sont la suite. Le peintre y accède au divin, l’incarnation du Maître-du-Jouir.